Histoire
L'esclavage et les traites
L’esclavage, selon l’UNESCO, est l’état ou condition sociale d'un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou de certains d'entre eux. Ce phénomène est identifié par la possession ou le contrôle d’un autre individu, sa coercition et la réduction de sa mobilité et par le fait que cette personne ne soit pas libre de partir ou de changer d’employeur.
La traite s'entend comme le commerce d'êtres humains pouvant être échangés contre des marchandises avant leur mise en esclavage.
L'asservissement et la mise en esclavage des populations africaines a commencé bien avant l'arrivée des Européens sur les côtes africaines qui a donné naissance à la traite négrière atlantique. Les historiens identifient ainsi trois principales traites esclavagistes ayant réduit en captivité des populations africaines.
- La traite intra-africaine a porté essentiellement sur la population africaine et la mise en esclavage de prisonniers de guerre entre Etats africains. Elle a été une répandue dans les sociétés africaines bien avant l’arrivée des arabes et des occidentaux et bien après leur départ.
- La traite arabo-musulmane (ou orientale) a commencé en 652, vingt ans après la mort de Mahomet. Elle est issue du recours aux esclaves de l’Empire romain puis byzantin dont les empires arabes ont continué la pratique à partir du 7ème siècle. Le trafic des populations africaines mises en esclavage suivait d'abord les routes transsahariennes (Sahara, désert arabique, vallée du Nil, le Sinaï, les vallées du Tigre et de l’Euphrate). Au XIXe siècle se développe en parallèle la traite maritime entre le port de Zanzibar et les côtes de la mer Rouge et du Golfe persique. Les esclaves étaient assignés aux travaux agricoles, aux tâches domestiques. La traite orientale s’est poursuivie jusqu’à la fin du 19ème siècle.
- La traite occidentale (ou coloniale européenne) débute au 15ème siècle et s’achève au 19ème siècle. Légale jusqu'à la fin du 18ème siècle, elle devient illégale au 19ème siècle au fur et à mesure des différentes abolitions promulguées dans les Etats européens. La traite occidentale transatlantique marqua la colonisation de l'Afrique par les Européens. Erigé sur le schéma du "commerce triangulaire" prioriotairement, la traite occidentae a agalement focntionné via le "commerce en droiture" observé principalament dans le sud entre le Brésil et les pays de la côte ouest africaine entre les côtes de Madagascar et d'Afrique orientale et les îles des Caraïbes. Entre 12 et 15 millions d'êtres humains ont été déportés . Quatre pays européens ont assuré 90% de l'ensemble de la traite atlantique : le Portugal, l'Angleterre, l'Espagne et la France.
Bordeaux et la traite atlantique européenne
"De très bonne heure au matin, à cause de la chaleur", quelques marins portugais sur les ponts d'une demi-douzaine de caravelles de cent tonneaux, les nouveaux bateaux à voile, se préparaient à débarquer leur cargaison africaine près de Lagos, à la pointe sud-ouest de l'Algarve, au Portugal. On était le 8 août 1444. Cette cargaison consistait en 235 esclaves.
Hugh Thomas, La traite des Noirs 1440-1870
Tous les ports européens ont pratiqué la Traite négrière. En nombre d’expéditions, les ports anglais dominent largement ce marché : 4894 expéditions négrières partent de Liverpool, 2704 de Londres et 2064 de Bristol. En France, Nantes est le port négrier le plus important avec 1 714 expéditions répertoriées. Il est suivi d’assez loin par Bordeaux, La Rochelle et Le Havre-Rouen qui ont organisé chacun entre 400 et 500 expéditions.
(…)
A la veille de la Révolution, Bordeaux, premier port colonial français, accapare à lui seul près de la moitié du commerce colonial en envoyant notamment vers les îles d'Amérique deux fois plus de navires que Nantes ou Marseille. Le régime de "l'exclusif" interdit aux colonies de commercer avec les pays étrangers, ce qui va fortement profiter aux négociants bordelais. Ceux-ci pratiquent principalement le commerce en ligne directe avec les Antilles, appelé "commerce en droiture". Ce commerce est beaucoup moins risqué que les voyages "circuiteux" ou triangulaires fondés sur la Traite des Noirs. (...). Sur l'ensemble du siècle, le commerce en droiture représente plus de 95% du commerce colonial bordelais. Ce n'est donc pas tant la Traite des Noirs qui enrichit Bordeaux que le commerce de denrées coloniales produites par les esclaves. (...). Bordeaux a donc plus vécu de l'esclavage que de la Traite des Noirs proprement dite, ce qui n'est pas plus moral. L'essentiel du commerce bordelais se fait avec la grande île de Saint Domingue qui est, à la fin du XVIIIème siècle, cinq fois plus peuplée et produit sept fois plus que chacune des autres îles des Antilles françaises. (...). Saint-Domingue entretient des liens privilégiés avec l'Aquitaine, qui lui a fourni le plus de migrants : bon nombre de planteurs qui possèdent des esclaves sont originaires de la région. L'île accapare alors plus de 75% du commerce colonial de Bordeaux et attire huit passagers sur dix. Elle est le pôle d'un trafic annuel de 550 à 600 navires. (...).
L'activité négrière des ports français (1713-1792)
La Traite négrière bordelaise représente 480 expéditions recensées entre 1672 et 1837. A l’origine de la déportation de 120 000 à 150 000 Noirs, elle est pratiquée par près de 180 armateurs bordelais, dont seule une minorité a organisé plus d’une dizaine d’expéditions. Les maisons Gradis, Nairac, Couturier, Laffon de Ladebat sont les plus importantes. Mais la majorité n’a financé qu’entre deux et cinq expéditions. Pour la Traite comme pour le commerce en droiture, plusieurs négociants se regroupent alors pour prendre des parts sur la cargaison et partager ainsi les risques et les bénéfices. On peut considérer que plusieurs milliers de Bordelais ont participé directement ou indirectement à ce trafic d’être humains. Le commerce triangulaire pratiqué par la Ville reste très fragmentaire jusqu’au milieu du XVIIIème siècle. Entre 1672 et 1740, soit en 68 ans, les Bordelais n’ont armé que 24 navires à la Traite, dont la moitié après 1730. Ce commerce, qui se met en place très lentement, s’intensifie en revanche à partir de 1740 : en trois ans, les Bordelais vont ainsi expédier autant de navires que pendant les 68 années précédentes. Cependant, Bordeaux se situe encore au 5e rang des ports négriers français en 1743.
C’est surtout après la guerre d’indépendance américaine (1783) que la Traite bordelaise connaît sa plus forte expansion allant jusqu’à représenter 12% du trafic colonial. Les négociants français sont désormais confrontés à la concurrence des Américains sur le marché des colonies. Pour autant, les besoins des îles en main-d’œuvre et les difficultés d’approvisionnement en esclaves sur les côtes occidentales de l’Afrique entraînent une forte augmentation du prix de vente des esclaves, ce qui va également inciter les négociants bordelais à intensifier la Traite des Noirs, désormais plus lucrative que le commerce traditionnel.
In François Hubert, Christian Block, Jacques de Cauna, Bordeaux au XVIIIe siècle. Le commerce atlantique et l’esclavage, Mérignac, 2010, p. 57 et suivantes
La présence noire à Bordeaux
Bordeaux a, de manière incontestable, bâti sa fortune sur l’économie coloniale : sa prospérité a en effet été assurée par le développement d’un commerce en droiture avec les Antilles et par sa participation de plus en plus active à la traite négrière tout au long du XVIIIe siècle. Cette dynamique atlantique, loin de se limiter à l’économie, s’est également étendue aux personnes. Bordeaux se trouve de fait au centre d’importants flux de population au sein desquels on trouve une part non-négligeable d’Afro-descendants. Ce phénomène a été récemment réévalué à sa juste valeur : on estime ainsi que plus de 5.500 d’entre eux ont été amenés à résider de manière plus ou moins longue à Bordeaux entre le début du XVIIIe siècle et la période napoléonienne.
La très grande majorité de ces Afro-descendants sont esclaves : arrivés depuis les Iles où ils sont nés, plus rarement en provenance directe depuis l’Afrique, ils sont surtout destinés à être employés comme domestiques, en officiant comme cuisiniers, valets de chambre ou encore nourrice. Posséder un esclave est en effet synonyme de richesse et une grande partie des élites bordelaises, qu’ils soient négociants, capitaines de navire ou encore parlementaires, participe de ce phénomène : le recensement de 1777 fait ainsi état de près de 300 esclaves dans la ville, principalement concentrés au sein des quartiers les plus fortunés. L’emprise des maîtres sur leurs esclaves est particulièrement importante : les baptêmes, qui resserrent le poids de la famille autour de l’esclave, et les naissances récurrentes d’enfants métis hors-mariage reflètent ainsi les rapports de force déséquilibrés entre les deux parties.
Il reste cependant possible de sortir de cette condition : bon nombre d’esclaves parviennent en effet à retrouver leur liberté, que cela soit en se prenant la fuite ou en bénéficiant d’un affranchissement de la part de leur maître à Bordeaux. Une partie de ces nouveaux libres décide de rester dans la ville où ils peuvent continuer à être employés comme domestique, en recevant des gages, ou pour ceux ayant bénéficié d’un apprentissage, en exerçant un petit métier. Bordeaux a ainsi vu l’émergence d’une petite mais solide communauté de gens de couleur libres, habitant principalement autour du quartier de Saint-Seurin. Les actes de mariage et de baptême témoignent de leur intense activité sociale et de leur intégration au sein de la ville et de l’ensemble de ses habitants.
Certains ont des trajectoires de vie particulièrement exceptionnelles et se hissent au niveau des libres de naissance fortunés particulièrement présents à Bordeaux : ces derniers, quasi-systématiquement nés aux Iles d’un père aquitain, jouent de leur métissage pour s’intégrer au réseau des élites bordelaises, à l’instar de la famille Raimond. Bordeaux a ainsi été le théâtre d’une influente élite de couleur, dont les plus fiers représentants sont sans doute les Louverture qui s’installent dans la ville et sa région au début des années 1800. Le début du XIXe siècle marque la fin de cette première phase d’installation des Afro-descendants à Bordeaux, en raison de l’assimilation progressive des libres au reste de la population, du retour de nombreux créoles vers la nouvelle République d’Haïti et d’un certain durcissement du préjugé racial à l’époque napoléonienne.
Julie Duprat, conservatrice, auteure de la thèse intitulée "Minorités noires à Bordeaux au XVIIIe siècle (1763-1792)"
Les cartes sont extraites de l’ouvrage suivant : Atlas des esclavages, de l’Antiquité à nos jours, Marcel Dorigny, Bernard Gainot, Cartographie Fabrice Le Goff © Editions Autrement, 2017