La rue Saige (depuis 1864) évoque François-Armand de Saige (1734-1793). Il a été en effet avocat général au Parlement de Bordeaux en 1760-1778/79, grâce à l’achat de cette charge. Plus tard, il participe au courant réformiste de la Révolution française, notamment comme commandant des gardes nationaux qui symbolise le nouvel ordre public. Il est élu maire de Bordeaux à trois reprises, le 9 mai 1790, le 6 décembre 1791 et le 12 janvier 1793. Mais il est guillotiné le 23 octobre 1793. Il a vivement défendu les droits à l’égalité des hommes de couleur aux Antilles. Il est donc irréprochable pour ce qui touche à la traite des Noirs.
Néanmoins, comme plusieurs grands bourgeois de la place, une part de sa fortune a été héritée des générations familiales de négociants et armateurs. Possédant dix millions de livres, il figure parmi les plus grosses fortunes bordelaises à la fin de l’Ancien Régime. Quand il épouse une riche héritière en 1764, Marie-Jacqueline de Verthamon, il apporte dans la corbeille des noces plus de 400 000 livres, une dot fort élevée. En 1768, il peut acheter pour 170 000 livres le château de Bourran, à Mérignac, puis une propriété à Cadaujac où il fait construite ce devient le château de Saige.
Son ascension grand-bourgeoise est le fruit d’une reconversion de la dynastie du négoce aux charges publiques (« la robe ») et à la propriété foncière et immobilière. Il se fait édifier par l’architecte Victor Louis un bel hôtel particulier en 1776-1777, après avoir investi 186 000 livres dans le seul terrain (sur l’actuel cours du Chapeau-Rouge), et y installe une solide collection d’œuvres d’art. Pendant la Révolution, il a le temps de récupérer des Biens nationaux à bon prix (dont l’hôtel des gouverneurs de Guyenne).
Auparavant, le nom des Saige est lié à trois expéditions négrières fort anciennes, bien avant le cycle de développement de la traite à la fin du xviiie siècle : en 1688 (Glorieux, entre La Rochelle et l’Angola), puis en 1741 et 1742 (Bourbon, entre la Guinée et La Martinique).
Lors de la première, pour les côtes angolaises, Jean Saige (1660-1730) n’était qu’un débutant en tant que négociant-armateur. Mais son père, François Saige ( ?-1685) était un important constructeur de navires dans la cité-port (aux Chartrons même, avant leur transformation en quartier bourgeois) et marchand fort actif (vins, grains, résines, morue). Il est consul de la Bourse en 1670 et un temps co-directeur de la Compagnie privilégiée des marchands de Bordeaux, en 1671.
Quant à lui, Jean Saige reprend les affaires de construction navale et d’armement maritime en 1684. Avec deux navires en propre, il développe le commerce avec les îles caribéennes ; il va jusqu’à posséder un sixième des parts dans l’armement du navire négrier Glorieux, qui relie La Rochelle à l’Afrique en 1687-1688. Il atteint une haute position dans la cité-port, grâce à ses affaires, à sa fortune et à ses connexions : ainsi, en 1705, il participe à la création de la Chambre de commerce de Guyenne à Bordeaux, dont il devient l’un des cinq directeurs.
Son propre fils, Guillaume-Joseph Saige (1696-1764) s’associe à la maison familiale et en devient le patron. Lui aussi grimpe les échelons notabiliaires, comme directeur de la Chambre de commerce de Guyenne à Bordeaux, par son mariage en 1730 avec Marie Chaperon-de-Terrefort, fille d’un haut financier, et par son anoblissement grâce à l’acquisition d’un office de « secrétaire du roi ». Or c’est ce Guillaume-Joseph Saige qui arme les deux autres négriers, le Lion et le Bourbon, l’un en 1741 pour le Loango (Congo) et l’autre en 1742 pour la Guinée. Apparemment, la maison familiale suspend cet engagement dans ce « commerce triangulaire » et revient à des formes classiques du négoce. La reconversion de l’héritier évite à la famille d’être impliquée dans le boum de la traite des Noirs des années 1780.