Pierre Balguerie-Stuttenberg est le nom pris après son mariage en 1809 avec Sophie, la fille d’un négociant en vin venu de Lübeck (où il est né en 1743) ou de Hambourg dans les années 1760, Mathias Stuttenberg, époux d’Anne Schyler, fille d’un Hambourgeois établi comme négociant en vin à Bordeaux. Lui-même et son frère Jean-Isaac Balguerie sont deux gros négociants de Bordeaux du début du XIX e siècle. En mars 1798, à 19 ans, Pierre Balguerie est entré comme apprenti dans la maison Biré & Verdonnet (dirigé par Louis Biré et David Verdonnet) qui vendait des toiles à Bordeaux ; en 1805, il devient son patron après que ses employeurs se retirent des affaires. Grâce à la fortune héritée de son père, de son esprit d’entreprise et de son capital de relations dans la haute bourgeoisie girondine, il la développe fortement dans le négoce des vins, des toiles et des denrées coloniales et la dirige jusqu’à sa mort en 1825.
Si ce nom de rue lui est attribué en 1864, c’est pour mettre en valeur l’œuvre de ce notable en faveur de l’équipement de la ville : animation de la société bâtissant le Pont de pierre en 1817 ; participation à la création à Bordeaux de la deuxième Caisse d’épargne de France dès 1819 et de la Banque de Bordeaux qui sert de banque centrale en Gironde en 1818-1848 ; association à la mise sur pied, le long des quais, de l’Entrepôt réel, pour les marchandises importées et stockées « sous douane » avant réexportation ; et participation aux activités de la Chambre de commerce.
Ce grand nom de l’histoire marchande et bourgeoise de Bordeaux a été l’un des plus contestés par les dénonciateurs de l’héritage de la traite négrière dans l’histoire économique de la cité-port. Or Pierre Balguerie-Stuttenberg, né en septembre 1778, n’a pu participer au boum négrier des années 1780-1790. En revanche, son père, Jean Balguerie (issu du Lot-et-Garonne actuel), a bien profité du système colonial reliant Bordeaux et les Antilles : en tant que négociant en liaison avec les plantations – qui utilisaient des esclaves – ou en tant qu’époux depuis 1772 de Marie-Marguerite Corregeolles, fille d’un négociant de Saint-Domingue. Il a cessé son activité commerciale en 1793 et s’est retiré en Gironde ; il apporte 30 000 francs au capital de 110 000 francs dont dispose son fils en 1809, donc une somme modeste qu’on pourrait attribuer à l’héritage de ses affaires transatlantiques.
Pierre Balguerie, quant à lui, pratique l’armement maritime avec les Antilles, donc en participant au commerce dont une partie est alimentée par les productions des plantations avant l’abolition de l’esclavage, avec trois navires vers La Martinique et deux vers La Guadeloupe en 1825. Il est partie prenante du système de production et d’échanges transatlantique et caribéen, qui inclut l’esclavage outre-mer, mais pas du système négrier. C’est le seul capitalisme marchand classique qui a enrichi ce grand bourgeois, qui a investi dans des biens immobiliers et viticoles (Gruaud Larose en 1812).
Néanmoins, il avait entrepris (avec deux associés) en décembre 1814 de faire construire à Brest et d’armer un navire de traite négrière en 1815, L’Africain ; par chance, l’interdiction de la traite par Napoléon le 29 mars 1815 a empêché ce navire d’appareiller, malgré les efforts auprès des autorités au tout début de la Restauration. C’est révélateur des contradictions des mentalités et des croyances (surtout pour un protestant) au sein de bourgeoisies marchandes hésitant entre la résurgence de l’ancien temps négrier et l’avenir réel du commerce – même si, pendant quelques décennies, celui-ci continue à être partie prenante du système de production et d’échanges multi-territorial lié à l’esclavage caribéen, américain ou brésilien.
Les filles de Pierre Balguerie épousent l’une le négociant bordelais Alexandre de Bethmann, l’autre le négociant du Havre Édouard Lemercier de Boisgérard. Signalons que le nom de Balguerie a été aussi porté (mais avec un lien familial remontant à l’arrière-grand-père Jacob Balguerie), par Jean-Étienne Balguerie junior (1756-1831), capitaine au long cours et négociant fortement associé au commerce lié à la traite des Noirs, entre 1783 et 1794 puis en 1803 – après avoir pratiqué la course (anti-anglaise) entre-temps – ce qui ne l’a pas empêché d’être élu à la Chambre de commerce de Bordeaux et député (entre 1827 et 1830).